Carouge sacrée "Ville équitable"
Le Courrier
Les associations du commerce équitable ont attribué samedi la distinction «Fair Trade Town» à la commune de Carouge (GE). Une invitation à aller plus loin?
Christophe Koessler
Genève Samedi, Carouge a été la première ville romande à recevoir la distinction «Fair Trade Town». Lancée il y a un peu plus de trois ans par la l'aitière des associations du commerce équitable (Swiss Fair Trade), elle vise à honorer les municipalités suisses pour leur engagement en faveur de condifions de vie dignes pour les producteurs des pays du Sud. Pour l'heure, seules cinq communes helvétiques ont été récompensées. Nicolas Walder, conseiller administratif de Carouge en charge de l'agenda 21, explique au Courrier la démarchede la Ville.
Pourquoi la Ville de Carouge a-t-elle décidé de s'engager en faveur du commerce équitable?
Nicolas Walder: Nous souhaitons un maximum de cohérence dans nos actions. Notre commune oeuvre énormément en faveur de l'aide au développement et privilégie les produits locaux et respectueux de l'environnement dans ses appels d'offres notamment. Certains produits, comme le café et le thé, ne sont pas cultivés localement. Il est important de s'assurer que les producteurs des pays du Sud bénéficient de conditions dignes. Nous pouvons agir directement sur les failles des structures économiques, plutôt que financer des projets d'aide qui visent à pallier les conséquences de ces failles. Nous souhaitons être responsables de notre consommation et promouvoir cette approche sur le territoire de la commune. Dans le même esprit, nous avons mis en place des ateliers de réparation d'appareils électroniques et participons au programme «Ge répare» avec la Ville de Genève et la Fédération romande des consommateurs. Nous offrons en outre des bons de 50 francs à tout habitant de la commune qui souhaite faire réparer un appareil chez l'un des réparateurs carougeois, selon une liste que nous fournissons.
Concrètement, que fait la commune en matière de commerce équitable?
Nous répondons aux cinq critères définis par l'association Swiss Fair Trade. Tout d'abord, l'administration communale achète elle-même au minimum trois produits labellisés pour ses employés: du café, deux sortes de thé et du jus de fruit. Ensuite, nous demandons à nos fournisseurs des traiteurs mandatés lors de réceptions, par exemple, d'utiliser des produits issus du commerce équitable lorsque cela est possible
(café, thé, bananes, cacao, etc.). La commune a aussi démarché nombre de commerces, cafés, restaurants et institutions (banques, associations, crèches, par exemple) pour qu'ils s'engagent aux-même à acheter trois produits du commerce équitable. A ce jour, vingt-six d'entre eux ont accepté de jouer le jeu (le nombre minimum requis par Swiss Fair Trade est de seize, ndlr). Dans les associations comme le Club des aînés par exemple, cela donne lieu à des discussions et à des prises de conscience de sorte à ce que tout un chacun s'engage aussi individuellement. Il reste beaucoup à faire. Seul 1,4% du cacao vendu en Suisse est issu du commerce équitable.
Peu de villes s'engagent comme vous. Est-ce si difficile?
Non, cela demande en revanche de la volonté politique et une conscience des enjeux. L'effort principal est de prendre son bâton de pèlerin pour aller à la rencontre des commerces et des institutions de la commune. Mais nous avons reçu un accueil extrêmement positif et rencontré peu de réticences. Cela nous a permis aussi de créer davantage de liens et de dialogue avec eux.
Vous avez aussi promis de sensibiliser la population plus globalement...
Oui, notre journal communal, Vivre Carouge, traitera régulièrement de la question. Samedi la remise du prix a aussi été l'occasion d'une manifestation dédiée au commerce équitable et de la projection d'un film. Lorsqu'on aborde des questions de migration et de coopération au développement, il est indispensable de s'intéresser aux conditions de vie des producteurs des pays du Sud et de parler de notre action en la matière. On entend bien mettre ce sujet sur la table durant ces prochaines années.
Comptez-vous aller plus loin que les engagements minimaux demandés par Swiss Fair Trade?
Assurément. Nous souhaitons généraliser la démarche et nous allons solliciter l'ensemble des commerces et institutions de la commune pour qu'ils y participent.
Certains labels, vendus surtout dans des magasins spécialisés, offrent davantage de garanties aux producteurs que Max Havelaar, qui a parfois fait l'objet de critiques. Ne vaudrait-il pas la peine de faire un pas de plus en
choisissant des labels plus exigeants à l'heure d'acheter votre café et thé?
Nous examinerons cette possibilité à l'avenir, sachant que nous respectons les critères fixés par Swiss Fair Trade et que nous avons aussi certaines contraintes budgétaires. La question peut toutefois se poser de savoir s'ils devraient eux-mêmes adopter des critères plus exigeants.
COMMENTAIRE
Les limites d'une distinction
L'engagement et l'effort de Carouge sont à saluer. Trop peu de villes suisses ont pour l'instant profité de la main tendue par les associations pour oeuvrer en faveur du commerce équitable. Les exigences de Swiss Fair Trade sont pourtant peu élevées. Il s'agit principalement d'obliger les administrations municipales à se fournir en trois produits labéllisés et de convaincre quelques commerces, cafés et institutions privées à les imiter. Pas la mer à boire. Pourtant, même Genève et Lausanne, gérées par des élus progressistes, peinent à entrer dans la danse (à Genève, une motion en ce sens déposée en 2015 pourrait bientôt être adoptée). Espérons que l'exemple carougeois ouvre la voie à d'autres. La stratégie de Swiss Fair Trade - ne pas trop en demander - pourrait alors payer pour impulser une dynamique de changement.
Mais s'agit-il alors d'un commerce véritablement équitable? Quelques doutes sont permis. D'un côté, plusieurs études sérieuses ont mis en cause dans certains cas l'impact réel du label Fairtrade/Max Havelaar sur l'amélioration des conditions de vie des petits producteurs, sans que la fondation du même nom réussisse à démontrer le caractère infondé des critiques1. Et depuis lors, ta tendance chez Max Havelaar a plutôt été à la baisse des exigences qu'à leur renforcement2.
Pour l'heure, Carouge se fournit en café et jus d'orange Max Havelaar et en thé vert Twinings Ethical Tea Parnership (qui dispose d'un partenariat avec Max Havelaar). .
Pourtant, en plein centre de Carouge, le Magasin du Monde la Calebasse fournit des produits de filières intégrées, de la société Claro par exemple, qui garantissent cette fois à coup sûr que les travailleurs ne vivent pas dans la misère...
D'autre part, acheter du café et du thé labellisé fait-il pour autant d'une municipalité une ville équitable, une «Fair Trade Town»? On sait que les achats prennent une toute autre dimension en matière de travaux publics, d'équipements scolaires et sportifs, de fournitures de bureaux, de tektiles, etc. L'ONG Solidar et la campagne Clean Clothes ont montré qu'il existait des alternatives, tant pour éviter d'importer des pierres taillées par des enfants en Asie (pour fabriquer nos trottoirs) que pour acheter des unifôrmes produits dans des conditions convenables. Mais là encore les pouvoirs publics sont à la traîne. La distinction «Fair Trade Town», elle, n'impose aucune obligation en la matière. Carouge a fait des efforts dans ce domaine aussi, mais beaucoup reste à accomplir. CKR
1Des recherches de l'Ecote des études orientales et africaines (Soas) de l'université de Londrés de 2014, et celle du Baromètre du cacao 2015, menée par plusieurs ONG dont Public Eye, avait fait état des piètresrésultats de Fairtrade Max Havelaar (notre édition du 17 mars 2015).
2Lire Le Courrier du 19 juillet 2014.